Le Togo semble se diriger vers une transition politique majeure après plus de six décennies sous le même régime. Un groupe de députés a récemment déposé une proposition de loi devant la commission des lois de l’assemblée nationale, visant à revoir l’orientation politique du pays. En substance, ces députés recommandent une transition vers un régime parlementaire. En d’autres termes, le président de la République ne serait plus à la tête du pays et ne serait plus élu par un suffrage universel direct. Désormais, cette fonction serait assurée par le Premier Ministre, désigné sous le terme de président du conseil.
La raison avancée pour cette proposition de loi est que la constitution de 1992 n’est plus considérée comme adaptée aux défis actuels. Cette initiative suscite de vifs débats au sein de l’opinion publique et politique. D’un côté, les partisans voient en cette proposition une opportunité, tandis que de l’autre, certains estiment qu’une nouvelle modification de la constitution togolaise n’est plus justifiable.
Il est essentiel de souligner que la proposition de loi est actuellement en cours d’examen par la commission des lois de l’assemblée nationale. Ainsi, une adoption n’est pas encore imminente. Cependant, une analyse impartiale de cette démarche parlementaire quant à son fond et sa forme est nécessaire. Voici des questions qui interpellent
Une nouvelle constitution pour le Togo est-elle réellement cruciale ? Qu’en est-il du changement vers un nouveau régime politique ? Pourquoi introduire cette proposition alors que de nouvelles élections parlementaires se profilent et sans oublier que le mandat des députés qui s’apprêtent à voter cette loi est déjà écoulé. Quels sont les enjeux pressants qui motivent une telle initiative ?
Une profonde réflexion semble indispensable pour évaluer sereinement cette proposition de loi et ses implications potentielles sur l’avenir politique du Togo.
D’abord les raisons qui motivent cette démarche adoptée par ces députés réformateurs, si on peut les appeler ainsi. « L’équilibre des pouvoirs, conçu à l’origine comme l’une des vertus cardinales de l’organisation actuelle, semble avoir atteint un seuil d’efficacité limitée au regard des nombreux emprunts aux systèmes présidentiel et semi-présidentiel qui génèrent une faible visibilité dans la représentativité et la responsabilité de l’exécutif devant la Représentation nationale ». C’est en substance l’argument fondamental qu’ils ont avancé.
En quelque sorte, les députés estiment que le système politique actuel présente des lacunes en termes de transparence et de responsabilité de l’exécutif vis-à-vis de l’organe législatif national. En d’autres termes, ils soutiennent que le principe de séparation des pouvoirs n’est pas pleinement respecté dans le système politique actuel.
Il est important de noter que le Togo, comme de nombreux pays africains, a oscillé entre des régimes présidentiels et semi-présidentiels depuis l’avènement de la démocratie sur le continent dans les années 1990. Sous ces systèmes, le président occupe la fonction de chef d’État tandis que le Premier Ministre est à la tête du gouvernement.
Un rappel historique nous amène à la première élection présidentielle togolaise qui s’est déroulée le 9 avril 1961, portant Sylvanus Olympio, alors Premier Ministre, au pouvoir pour la première fois. Une nouvelle constitution instaurant un régime semi-présidentiel a été largement approuvée par la population via un référendum. Cependant, après l’assassinat de Sylvanus Olympio, le Togo a sombré dans une dictature sévère sous le règne sans partage de Gnassingbé Eyadema jusqu’en 1990, marqué par le parti unique RPT.
La transition vers une constitution démocratique en 1992 a marqué le retour du multipartisme et la fin de l’ère dictatoriale. Depuis lors, la constitution togolaise, sujette à de multiples révisions et modifications, n’a cessé d’évoluer. À ce jour, elle a été amendée 25 fois, soit environ une révision tous les deux ans et demi, alimentant des critiques de “banalisation” des révisions constitutionnelles.
Par exemple, la révision constitutionnelle de 2002 avait pour objectif principal de permettre à Gnassingbé Eyadema, au pouvoir depuis 1967, de briguer un troisième mandat de cinq ans, alors que la constitution initiale limitait le nombre de mandats à deux. En mai 2019, une nouvelle modification constitutionnelle a été adoptée, entraînant un changement du mode de scrutin des élections présidentielles togolaises vers un scrutin uninominal majoritaire à deux tours au lieu d’un seul, l’introduction d’une limitation à deux mandats présidentiels, et l’établissement d’un Sénat. Cette révision permet notamment au président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, de se maintenir potentiellement jusqu’en 2030 au lieu de 2020, sans effet rétroactif sur ses mandats antérieurs.
Si les députés qui ont introduit cette révision constitutionnelle évoquent l’échec du principe de la séparation du pouvoir, je suis tenté de leur demander à qui la faute. Qu’est ce qui en est la cause ?
Le Togo n’a jamais connu d’alternance politique depuis 1967. Après le décès de son père en 2005, Faure Gnassingbé a accédé au pouvoir de manière contestée. En une seule nuit, il est passé du statut de député à celui de président de l’Assemblée nationale puis à la présidence, contournant ainsi les principes de séparation des pouvoirs. Il est également notable que la majorité des députés ayant introduit cette proposition de loi font partie de la majorité présidentielle. Cette situation peut être comparée à un danseur qui, après avoir dansé, apprécié sa danse, se plaint de celle-ci et souhaite changer de musique. On a envie de dire que ce n’est pas trop tôt.
Les députés à l’origine de cette proposition estiment que l’organisation héritée des systèmes coloniaux, tentée d’être adaptée dans les États africains, montre des limites et laisse apparaître des failles de vulnérabilité et d’instabilité. Encore une fois, à qui la faute ? Le régime présidentiel est-il réellement fautif de ces dysfonctionnements ? D’autres nations adoptant ce même système en Europe parviennent à bien fonctionner. Des pays d’Afrique de l’Ouest comme le Bénin, le Sénégal, le Ghana, le Liberia et récemment la Gambie ne semblent pas rencontrer les mêmes difficultés avec ce régime hérité du colonialisme.
La question fondamentale ici est peut-être davantage liée à la cupidité et à la folie d’assurer une conservation du pouvoir à tout prix. En 2005, au Togo, les manipulations politiques et les entorses aux principes démocratiques ont entraîné l’élection de Faure Gnassingbé à la présidence, déclenchant une crise politique avec plus de 811 morts et de nombreux déplacés selon la Ligue togolaise des droits de l’homme. Les élections au Togo sont souvent marquées par des contestations et des cas de fraudes notoires, une réalité rarement observée dans les pays occidentaux.
Face à ce constat, se pose la question de savoir s’il faut changer les textes ou les personnes en place. Les contraintes perçues imposées par les occidentaux justifient-elles les violations des textes auxquels on s’est pourtant engagés à respecter ? Il est primordial de se demander si les bonnes interrogations sont posées. Si le non-respect des lois d’un régime politique qui ne présente pas d’issues fondamentales persiste, quelles garanties existent pour le respect des nouveaux textes liés à un potentiel nouveau système politique ?
Il est essentiel de reconnaître nos propres échecs sans chercher à attribuer nos malheurs à des responsabilités extérieures. Collectivement, l’Afrique a failli à respecter pleinement les principes démocratiques, même si l’on peut reprocher aux pères fondateurs des nations africaines un manque de vision et d’anticipation. Il aurait été judicieux, dès les prémices de l’indépendance, de se demander si nous étions réellement prêts à embrasser et respecter les principes d’un système politique importé et appliqué de manière directe sur nos réalités africaines.
Plusieurs crises politiques africaines naissent avant pendant ou après les élections présidentielles. Plusieurs crises naissent suite à l’entêtement des présidents à s’éterniser au pouvoir, même s’il faut bidouiller le visage de la constitution. Assez de crises politiques naissent suite aux revendications des populations qui aspirent à une meilleure gestion des ressources publiques et l’amélioration de leur condition de vie. Des crises naissent, suite à l’incarcération de leaders politiques cherchant à rivaliser avec les figures puissantes des palais présidentiels. Nous avons constaté, à travers les régimes présidentiels en Afrique, que laisser le pouvoir entre les mains d’une seule personne, c’est prendre le risque de le voir ce dernier en abuser, pactiser avec des puissances étrangères qui finissent par devenir les maitres à penser dans notre propre maison. Les cas récents du Mali, Burkina Faso, Niger en disent long.
À un moment donné, il devient impératif de revoir la situation et de chercher des solutions pour mettre fin à cette spirale de crises. Dans ce contexte, l’approche adoptée au Togo, visant à apporter une solution à cette escalade potentiellement dévastatrice, pourrait représenter un outil significatif pour démanteler le pouvoir omnipotent souvent associé au titre honorifique de président de la République, redéfinissant ainsi le rôle et l’influence de ces individus sur le destin des citoyens.
Eh oui, le régime parlementaire pourrait être la solution. Le nouveau projet de constitution prévoit le renforcement des pouvoirs du Premier ministre qui sera désormais appelé « président du conseil des ministres ». Il sera élu par l’Assemblée nationale. « Le Président du Conseil est le chef du gouvernement. Il détermine et conduit la politique générale de la Nation. Il définit la politique étrangère. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Il exerce le pouvoir règlementaire. Il nomme aux emplois civils et militaires. Il dispose de l’administration et exerce l’autorité et le commandement sur les forces armées et les forces de sécurité », prévoit l’article 54 du projet de constitution qui est actuellement débattu à la commission des lois. Les ministres sous la Vème République sont tenus de rendre compte au parlement. En effet, la nouvelle Assemblée nationale aura la possibilité de démettre les ministres de leurs fonctions via les motions de défiance, souligne le journal Tout Africa.
L’adoption de cette loi marquerait un progrès majeur pour le Togo. Le pays sera parvenu à tourner définitivement la page des Gnassingbé et de résoudre le défi de l’alternance à la tête de l’État. Dans ce nouvel arrangement, Faure Gnassingbé, s’il choisit d’endosser le rôle de Président du conseil, devrait abandonner son titre de président de la République. Jean Pierre Fabre, figure d’opposition de longue date, devrait également choisir entre la présidence de la République et celle du conseil au cas où il parvenait à remporter les élections législatives.
Cette évolution remettrait en question la quête effrénée du pouvoir à tout prix. L’idée de concourir pour la présidence perdrait de son attrait si le pouvoir exécutif était entre les mains du Président du Conseil disposant de toutes les prérogatives politiques. De plus, être à la tête d’un parti politique ne garantirait pas automatiquement le poste de Président du Conseil. Avec la disparition de l’élection présidentielle, le pays pourrait réaliser des économies significatives, en tenant compte de sa fragilité économique actuelle. Nous aurons économisé 4 milliard de franc CFA chaque cinq ans.
Les élections législatives permettraient au peuple de choisir parmi plusieurs candidats, mettant fin aux aspirations individuelles qui animent souvent les leaders politiques en quête de la présidence et de vaines gloires. Le Président du Conseil serait conscient de sa possible destitution à tout moment et son action serait soumise au contrôle populaire. Sur le papier, ce système politique semblerait représenter la pure expression de la gouvernance par le peuple, pour le peuple. Si cette loi est adoptée, nous auront peut-être tourné la page sombre des violences post électorales au Togo et peut être Afrique si l’option arrivait à séduire les autres pays. Car en Afrique, il suffit que hommes politiques se battent pour que toute une nation se mette à genoux et compte les pertes en vies humaines par milliers.
Il est clair que nos présidents de la République sont au cœur de nos problèmes. Si les écarter permet d’atteindre la paix, pourquoi hésiter ? Comme le disent les saintes écritures : “si votre doigt est un obstacle pour accéder au ciel, coupez le”. Il se pourrait bien que nous détenions la clé d’une réécriture de notre histoire, un choix délibéré découlant de notre désir de tourner la page tout en tirant des leçons de nos erreurs passées. Pour un pays qui a déjà traversé des épreuves inimaginables, il semble que nous n’ayons rien à perdre à faire un essai.
Toutefois, tout ceci resterait des textes. Le Togo est champion des textes. L’essentiel réside donc dans le respect des dispositions contenues dans cette nouvelle constitution si son adoption venait à se concrétiser. Lorsque ceux qui élaborent les lois refusent de les appliquer mais optent pour les modifier, quelle garantie avons-nous qu’ils s’engageront désormais à respecter ce qu’ils ont rédigé ?