Finalement, la défiance n’aura jamais lieu. 12 ans après sa brouille avec le président togolais Faure Gnassingbé, l’ancien numéro 2 de la présidence de Lomé, Pascal Bodjona, fait son retour au bercail.
Le samedi 1er septembre 2012, l’arrestation de Pascal Bodjona, alors Ministre de l’administration territoriale et porte-parole du gouvernement togolais, a surpris bon nombre d’acteurs de la vie sociopolitique au Togo.
S’en suit alors une affaire judiciaire au cours de laquelle ses avocats porteront l’affaire devant La cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette dernière demandera, le 24 avril 2014, au gouvernement du Togo de libérer ou de juger l’homme politique Pascal Bodjona. Elle lui demandera également de verser une réparation pour la détention arbitraire qu’il a subie entre septembre 2013 et avril 2013.
Le silence de la présidence de Lomé concernant cette affaire a attiré l’attention d’Amnesty International.
A Lomé, les partisans de Pascal Bodjona vont organiser des mouvements d’humeurs dans la rue mais aussi devant les bureaux du substitut du procureur et du doyen des juges pour exiger la libération. Mais cela ne fera pas réagir le pouvoir de Lomé.
Les accointances avec l’opposition togolaise
Très vite, l’opposition togolaise rassemblée au sein du collectif “Sauvons le Togo” et de la coalition “Arc-en-ciel” va se jeter dans l’affaire, exigeant la libération de Pascal Bodjona dans un communiqué conjoint rendu public le vendredi 5 septembre 2014.
Pour l’opposition, il ne s’agit plus d’une affaire d’escroquerie, mais d’un acharnement politique.
« Lorsqu’on se réfère aux raisons données par le magistrat pour décerner encore un mandat de dépôt contre monsieur Bodjona, on se rend compte que sur le plan juridique cette argumentation n’a aucune pertinence. Les conditions exigées pour qu’on puisse placer une personne en détention préventive n’ont pas été respectées. » va souligner le professeur Wolou Komi, alors coordinateur par intérim du CST.
Ce qui dérange, ce n’est pas tant la réaction de l’opposition togolaise en soi, mais plutôt ce brusque rapprochement entre deux camps qui, hier encore, étaient opposés. Cela surprend et soulève des interrogations sur la nature de leur relation.
Pour rappel, Pascal Bodjona fait partie du cercle fermé des acteurs politiques du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) qui ont initié et soutenu la prise de pouvoir de Faure Gnassingbé par des moyens peu orthodoxes en 2005, suite au décès de feu Gnassingbe Eyadema. Lors des élections présidentielles d’avril 2005, émaillées par des fraudes et de graves violences, Pascal Bodjona, alors porte-parole de Faure Gnassingbé, condamna les atrocités qui entouraient l’élection tout en rejetant les accusations portées par l’opposition.
Après la victoire de Faure Gnassingbé, Pascal Bodjona fut nommé Directeur de Cabinet du Président de la République en mai 2005. Il conserva ce poste pendant plus de deux ans et demi. Suite aux élections parlementaires d’octobre 2007, Bodjona fut nommé ministre d’État de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, en plus de devenir le porte-parole du gouvernement, le 13 décembre 2007.
On reconnaît à Pascal Bodjona, fin stratège politique, le rôle de maître à penser dans l’accord politique historique entre le RPT et l’UFC de Gilchrist Olympio. C’est également lui qui a orchestré les manœuvres visant à faciliter la réélection de Faure Gnassingbe en 2010, une réélection vivement contestée par l’opposition togolaise.
Au vu de tous ces exemples, l’amitié soudaine entre deux ennemis d’hier ne peut que troubler les esprits. C’est cette piste qui conduit à étayer l’argument selon lequel Pascal Bodjona serait plutôt en train de voir ses ambitions présidentielles écourtées
“Des sources bien introduites dans la politique togolaise précisent toutefois que les tribulations de ce dernier viendraient plutôt de ses ambitions présidentielles que l’intéressé n’a pas encore annoncées”, écrira le journal BBC Afrique
Le 8 février 2016, soit deux jours après sa libération, Pascal répondait aux questions du journal Jeune Afrique. A la question de savoir s’il reste “convaincu que cette affaire n’était pas purement judiciaire, mais motivée par des considérations politiques ?
Pascal Bodjona répond “à ce jour je n’ai aucun élément crédible qui puisse me convaincre que cette procédure que je qualifie d’atypique puisse répondre à une quelconque motivation judiciaire. Et je ne suis pas seul à le penser puisque la Cour de justice de la Cedeao a reconnu que l’État togolais n’a versé aucun élément de nature à étayer la culpabilité de Pascal Bodjona et à justifier sa détention. Cela résume tout. Mais je laisse la qualification de mes ennuis à ceux qui m’ont accusé à tort.
Cet amour soudain de l’opposition togolaise à l’endroit de Pascal Bodjona a donc confirmé des soupçons au sein du clan présidentiel. Pascal Bodjona serait de mèche avec l’opposition pour provoquer l’alternance. Même juste après sa libération, Pascal Bodjona n’avait guère voilé la nature de ses ambitions politiques.
“Mon avenir politique est certain. Je n’ai pas encore vu de nuages affirmer le contraire. Il s’agit d’un devoir citoyen de s’intéresser à la gestion et à la vie de son pays. Je n’ai pas subi tout ce préjudice pour disparaître ensuite tranquillement de la scène politique”, affirmait il chez nos confrères de Jeune Afrique le 8 février 2016.
La course à l’envers
Mais les mois qui suivront verront un Pascal Bodjona enfermé dans un terrible mutisme et n’engageant aucune offensive politique. Il prendra aussi ses distances de l’opposition togolaise et ne fera aucune apparition publique.
Coup de tonnerre, le 3 mai 2020, alors que Faure Gnassingbé prêtait serment à la présidence togolaise, la présence d’une personnalité parmi les invités va alimenter les discussions et attirer les curiosités. Il s’agit de Pascal Bodjona que l’on retrouve assis et assistant à la prise de fonction de son ancien patron, ami.
Et depuis, on le verra par moments dans le cortège des personnalités qui entourent le président Faure Gnassingbé.
Plus aucun doute ne subsiste ; Pascal Bodjona n’a pas réussi à faire cavalier seul, ni avec l’opposition togolaise, ni avec les personnes qui tentaient de le suivre dans ses ambitions politiques.
Sa récente nomination comme Conseiller spécial des affaires politiques à la présidence n’est que l’aboutissement d’une démarche infructueuse.