Presque toujours, mais plus encore dans le contexte du 08 mars, plusieurs organisations vont se réunir, directement ou par media interposés, pour faire des discours et communications plus inspirés (pas forcément inspirants) les uns que les autres sur les femmes, leurs droits, leurs luttes ou centrés sur la “fête” tout court avec des pagnes et couleurs assortis à l’événement.
Une séquence qui revient presque toujours dans ces communications est la suivante : femmes battantes, femmes fortes, femmes leaders, femmes reines, femmes éducatrices…
Les hommes, pour marquer l’événement et montrer leur reconnaissance (laquelle, pour beaucoup, s’arrête au soir de cette journée) et “leur engagement”, chargent leur vocabulaire de phraséologies telles que : on vous respecte parce que vous êtes
– Nos mères,
– Nos princesses,
– La mère de nos enfants,
– Vous tenez nos maisons,
– La source de la vie…
Eh bien, croyez-moi (ou pas), on vous ment depuis le début et vous vous mentez sur une base élargie. En réalité, à quelques exceptions près, vous n’êtes rien de tout cela. Je veux dire vous n’êtes rien dont les hommes ne sont l’équivalent : si vous êtes des princesses, les hommes sont des princes. Vous êtes des mères ? Les pères sont en face. Des hommes aussi se battent, sont autant des leaders, des rois, des éducateurs…
Et puis vous n’êtes en rien la source de la vie. Oh que non ! Nous savons toutes et tous comment on crée la vie, comment on fabrique des enfants. C’est l’apport de l’homme et celui de la femme qui rendent cela possible. Sauf erreur de ma part, malgré les prouesses de la science, on n’est pas encore arrivé à féconder un ovule sans l’intervention de l’homme. Les banques de sperme servent à cela. Désolé de vous dégonfler et même de vous dégouter ou encore de vous décevoir. Donc du calme !
On peut comprendre que certains de ces attributs servent à montrer la bataille légitime et courageuse que vous menez, que nous menons finalement, pour vos droits, à reconnaître le potentiel des femmes et des filles ainsi que vos valeureuses et inestimables contributions au développement, trop souvent non reconnues ou ignorées, à quelque échelle que l’on se trouve…
Cependant, la plupart de ces refrains sont des mécanismes éminemment patriarcaux destinés non seulement à endormir les femmes mais aussi à les maintenir dans l’oppression qu’est la division sexuelle du travail notamment.
– En mettant l’accent sur le fait que vous êtes mères et éducatrices, on vous rappelle tout simplement votre esclavage que sont vos rôles domestiques : un travail que vous faites pour autrui, un travail que vous êtes forcées de faire juste parce que vous êtes femmes, un travail non rémunéré, un travail invisible et non reconnu… Les hommes ne sont-ils pas des pères, ne doivent-ils pas (ne sont-ils pas) être des éducateurs ? Vous comprenez, par exemple, pourquoi donc le code du travail (du Togo) a prévu 14 semaines pour le congé de maternité et 1 jour pour le congé de paternité (je ne sais plus si cela a changé dans le nouveau code 2021 pour les pères). Et les femmes qui ne sont pas mères, celles qui n’éduquent pas, celles qui ne se sont pas mariées ? Toutes les femmes sont des mères, diriez-vous. Mais alors comment expliquez-vous que les femmes qui ne sont pas des mères biologiques sont discriminées, renvoyées de leur maison ou secondées ?
– En vous rappelant que vous êtes des reines, princesses, que vous êtes belles… on vous fait faire une fixation sur vos atouts féminins et vous fait croire que c’est cela qui est important pour être femme. Sinon comment expliquez-vous que la presque totalité (ne soyons pas excessifs) des poètes et artistes hommes et les films, pour parler des femmes, ne se concentrent que sur ces attributs : “tu es mon rayon de soleil, ta beauté fait ci ou ça, quand je t’ai vu, mon cœur a fait ci ou ça, on ne parle que de toi…”? Le chanteur Congolais Singula disait même dans l’un de ses derniers clips qu’il sort avec une autre femme parce que sa conjointe “se laisse aller”, sans prendre soin d’elle… Vous avez déjà entendu une chanson où l’homme dit à la femme “ne me quitte pas parce que tu es intelligente, tu as beaucoup d’argent, tu as un bon boulot, tu es une femme leader, battante… ?” Moi non et je serai content si vous me recommandez une. Une des ramifications de cette situation est évidemment le concours miss où on donne une voiture neuve qui coûte plusieurs millions à la lauréate, entre autres, alors que la fille première au BAC a un ordinateur de 150 mille. La beauté est plus importante que l’école. Et les femmes qui ne sont pas belles ? Sachant que les critères de beauté sont eux-mêmes des symboles du patriarcat
– Le monde n’est pas juste avec vous. Certaines d’entre vous se battent vraiment, individuellement et collectivement pour lever la tête. On est fier de vous et nous vous soutenons, vous le savez ! Mais en essayant constamment de démontrer que vous êtes des leaders, fortes, battantes… cela vous fait entrer dans l’extraordinaire. Les garçons et les hommes se battent tout autant, contre le même patriarcat sous d’autres mécanismes, contre d’autres choses qui leur sont propres. Donc sortir la tête de l’eau, dompter son monde, avoir son entreprise, terminer ses études, se suffire, forcer le respect… est tout simplement, très simplement normal. C’est bien cela qui est normal.
Finalement, pour le 8 mars ou en aucun autre moment, on ne doit pas vous respecter parce que vous êtes des femmes avec tel ou tel attribut. Ce n’est pas cela le bon argumentaire. On vous doit respect et considération, on doit vous valoriser, vous devez jouir de vos droits, tout simplement parce que vous êtes des humains. Si vous vous accrochez aux stéréotypes sexistes ci-dessus, vous risquez de ne pas aller loin. C’est une des raisons pour lesquelles notre lutte piétine depuis plusieurs décennies…
Bonne célébration de la journée des droits des femmes par anticipation
Atsu Eklu
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