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Critique du discours du 31 décembre de Faure Gnassingbé

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Critique du discours du 31 décembre de Faure Gnassingbé
Faure Gnassingbé lors de son discours du 31 décembre 2024

Après ce que je pourrais qualifier d’analyse de forme, cette réflexion sera consacrée à l’analyse du fond du discours du Président togolais Faure Gnassingbe le 31 décembre 2024. Sur ce, cet exercice va étudier les aspects suivants :

  • Cibles du discours
  • Chronologie, choix et critique des sujets abordés
  • Sujets omis et piège politique de la cinquième République en 2025

Mais avant de pondre mon analyse, j’aimerais attirer votre attention sur l’importance et la pertinence du discours d’un homme politique, et pourquoi il faut faire attention à tous les détails qu’il comporte.

D’entrée de jeu, nous devons savoir qu’un discours politique d’un président de la république n’est pas une improvisation, ni un alignement de simples mots ou une formulation de phrases, juste pour honorer une obligation de fonction. Le discours politique du président est bien pensé, les mots bien choisis, les répétitions bien calculées, la forme et le fond, la chronologie et les choix des sujets abordés. Bref, tout est minutieusement réfléchi selon les objectifs et la cible que le politique désire atteindre. Il faut garder à l’esprit que tout sujet non abordé par le président est délibérément omis.

Les cibles du discours

« Mes chers compatriotes du Togo et de la diaspora. » Voici comment Faure Gnassingbé a débuté son discours. Notons que c’est la première fois que le président togolais, depuis sa prise de pouvoir en 2005, s’adresse dès ses premiers mots aux Togolais résidant sur le territoire national et à la diaspora. Cette volonté d’inclure la diaspora togolaise dans ses priorités semble être motivée par des objectifs clairs.

Le timing

Depuis son arrivée au pouvoir dans des conditions peu orthodoxes en 2005, Faure Gnassingbé s’est aliéné une grande partie de la diaspora. Après les événements tragiques d’avril 2005, suite à son élection contestée, de nombreux Togolais ont fui le pays, rejoignant d’autres destinations en Afrique et à l’étranger. Ces départs s’ajoutent à ceux survenus sous le règne de son père, feu Eyadema Gnassingbé, pour des raisons telles que le chômage, les menaces politiques, les intimidations, et la pauvreté ? entre autres.

Ainsi, la diaspora togolaise s’est largement constituée d’individus critiques envers le régime. En particulier, la diaspora résidant en Europe a souvent soutenu les opposants politiques, espérant contribuer à un changement de régime. Cependant, au fil des ans, ce combat a faibli, notamment à cause de la désillusion envers les leaders de l’opposition, accusés de complaisance et de manque de loyauté.

Faure Gnassingbé a su tirer parti de cette lassitude. Aujourd’hui, il tente de rallier cette diaspora autrefois hostile, affichant une volonté de rassembler tous les Togolais. Cependant, une analyse approfondie de son discours révèle que la communauté internationale est également une cible majeure de cette communication.

Positionnement diplomatique

« La guerre qui oppose l’Ukraine et la Russie, outre son coût humain, déstabilise les circuits commerciaux mondiaux. Le conflit israélo-palestinien exacerbe le risque d’un embrasement généralisé au Moyen-Orient. Là encore, ce sont les voies du commerce qui s’en trouvent fragilisées. » – Faure Gnassingbé.

Dans un discours adressé aux Togolais, on pourrait se demander pourquoi le président a choisi de s’attarder sur des questions internationales telles que les conflits russo-ukrainien et israélo-palestinien, ou encore le dérèglement climatique.

« Mon autre grande préoccupation concerne, vous vous en doutez, la crise climatique. Celle-ci affecte durement notre activité agricole et contribue à accroître l’insécurité alimentaire. » – Faure Gnassingbé.

La réponse est simple : Faure Gnassingbé cherche à renforcer son positionnement diplomatique. Depuis quelques années, il s’est impliqué dans la résolution de conflits régionaux et internationaux, comme au Tchad et au Soudan. Ce discours vise à le présenter comme un dirigeant engagé dans les grands défis mondiaux, malgré la petite taille de son pays.

Lors de la conférence internationale sur la bonne gouvernance, tenue le 5 septembre 2024 à Pékin, Faure Gnassingbé avait dénoncé le dysfonctionnement des institutions internationales comme l’ONU, le FMI, et l’OMC.  « L’avis général est que les institutions internationales ne fonctionnent pas bien et la gouvernance mondiale laisse à désirer » avait-il laissé entendre

Dans son discours du 31 décembre, il poursuit cette ligne en soulignant les conséquences des conflits mondiaux sur les économies africaines et en critiquant les activités des grandes puissances qui aggravent le dérèglement climatique.

Ces choix stratégiques dès l’entame de son discours servent à affirmer son rôle sur la scène internationale et à répondre aux attentes de la communauté diplomatique.

Chronologie, choix et critique des sujets abordés

Le président togolais Faure Gnassingbé a structuré son discours en abordant les thématiques suivantes, dans l’ordre : guerres russo-ukrainiennes et israélo-palestiniennes, crise climatique, agriculture, santé, éducation, social, sécurité et politique. Cet agencement reflète les priorités qu’il considère importantes pour lui-même et pour le pays, tout en excluant certains sujets qu’il a choisi de ne pas aborder.

Guerres russo-ukrainiennes, conflit israélo-palestinien, et crise climatique

La mise en avant des conflits internationaux et de la crise climatique dès le début du discours suscite des interrogations. Bien que cette approche puisse refléter une quête personnelle de reconnaissance diplomatique, elle semble déplacée dans le contexte d’un discours de fin d’année adressé aux citoyens togolais. Contrairement à Faure Gnassingbé, d’autres chefs d’État de la région, comme Alassane Ouattara, ont mentionné ces crises brièvement, préférant se concentrer sur les défis domestiques.

« L’année 2024 nous a permis d’enregistrer des avancées importantes dans un contexte sous régional et international difficiles » va lancer Alassane Ouattara

Par contre, Faure Gnassingbé utilise ces événements pour justifier les contre-performances économiques de son gouvernement :

« Guerre commerciale, conflit sécuritaire, crise climatique, rien n’indique aujourd’hui que 2025 verra facilement disparaître ces difficultés. » indique Faure Gnassingbé

Ce ton pessimiste pourrait être interprété comme un aveu d’impuissance, venant d’un président qui cumule deux décennies de pouvoir, après les 38 années de règne de son père. S’il est juste de reconnaître les défis mondiaux, l’insistance sur ces derniers donne l’impression que le président se dédouane de sa responsabilité.

Il conclut néanmoins cette section avec une tentative de message optimiste :

« Pourtant, malgré ces différentes crises, je veux vous dire ce soir ma conviction que notre pays avance. »

Mais cette déclaration semble conditionnelle, attribuant potentiellement au peuple l’échec éventuel des efforts futurs.

Agriculture

En réponse aux problèmes de sécurité alimentaire, le président a mentionné plusieurs initiatives : 10 milliards de FCFA alloués à 149 000 producteurs agricoles, subventions d’engrais à hauteur de 17milliards 900 million de FCFA, 400 tracteurs déployés, et 3 500 kits d’irrigation distribués. Cependant, ces chiffres manquent de contexte. Quels résultats ont-ils permis d’atteindre ? Combien de ménages ont réellement bénéficié de ces mesures ? L’absence d’éclaircissements rend cette déclaration peu convaincante.

Santé

Sur le plan sanitaire, Faure Gnassingbé a évoqué la mise en place de l’Assurance Maladie Universelle (AMU) et un investissement de 20 milliards de FCFA dans des équipements médicaux modernes. Là encore, le discours reste vague sur l’impact de ces initiatives : combien de Togolais ont accès à ces services ? Quels progrès mesurables ont été réalisés dans la couverture sanitaire du pays ?

Par ailleurs, plusieurs personnes interrogées affirment s’être enregistrées à l’Assurance Maladie Universelle (AMU) et soumises aux cotisations rigoureuses mais à ce jour, leurs cartes ne sont toujours pas disponibles.

Éducation

Le président a mentionné la construction et la réhabilitation de 2 000 salles de classe ainsi que le recrutement de 15 000 enseignants en quatre ans. Cependant, il a omis de parler de la qualité de l’éducation, un sujet crucial. Les résultats des examens nationaux pour l’année scolaire 2023-2024 sont en baisse notable :

  • CEPD : de 77,98 % en 2023 à 77,75 % en 2024.
  • BEPC : de 81 % en 2023 à 44,09 % en 2024.
  • Probatoire : de 80,96 % en 2023 à 71 % en 2024.

De plus, le président n’a pas évoqué la santé de la formation universitaire, ni les défis structurels du système éducatif togolais.

Social

Faure Gnassingbé a souligné des mesures comme la réduction du coût des transports, le contrôle des prix des produits de première nécessité, une prime spéciale pour 150 000 Togolais, et une baisse des tarifs d’électricité en décembre. Cependant, ces annonces ne semblent pas refléter la réalité sur le terrain, où les prix continuent de grimper, remettant en question l’efficacité de ces initiatives.

Sécurité

Le président a abordé les dépenses accrues pour lutter contre le terrorisme, mais il n’a pas détaillé les montants engagés ni les résultats obtenus. Ce manque de transparence empêche une évaluation objective de la gestion sécuritaire.

Politique

Enfin, sur le plan politique, Faure Gnassingbé s’est félicité des réformes ayant conduit à la cinquième République, sans aborder les critiques concernant les conditions dans lesquelles elles ont été opérées. Il n’a pas présenté d’excuses ni tenté d’expliquer les choix qui ont écarté une partie de la classe politique.

Bien que Faure Gnassingbé appelle au dialogue entre les communautés rivales ailleurs, il tarde à initier un dialogue sincère avec la classe politique togolaise. Cette omission est d’autant plus regrettable que le Togo pourrait aspirer à devenir un modèle de démocratie sur le continent.

  • Sujets omis et piège politique de la cinquième République en 2025

Dans son discours, le président Faure Gnassingbé a habilement évité de faire des promesses concrètes sur ce que deviendra le Togo en 2025. Il s’est contenté de dresser un bilan général et d’annoncer qu’il continuerait à œuvrer pour le bien-être des populations.

Cette prudence apparente cache une stratégie politique : l’actuel mandat présidentiel de Faure Gnassingbé prend officiellement fin en mai 2025. Faire des promesses ambitieuses et détaillées sur l’ensemble de l’année reviendrait à alimenter les soupçons selon lesquels il chercherait à prolonger son pouvoir au-delà de la présidence. De plus, le cadre institutionnel de la cinquième République, où il pourrait potentiellement occuper le poste de Président du Conseil des Ministres (PCM), limite ses projections à long terme tant qu’il n’a pas officiellement quitté ses fonctions actuelles.

Faure Gnassingbé semble donc attendre la mise en place de la cinquième République pour dévoiler ses plans d’action. Cependant, cette transition institutionnelle est susceptible d’attiser les tensions politiques latentes. L’absence de dialogue sincère avec l’opposition et la population rend le risque d’un embrasement politique bien réel.

Les sujets omis

Le président a choisi de passer sous silence des thématiques pourtant cruciales comme l’emploi, le chômage, la justice et la corruption. Ces omissions ne sont pas anodines. Elles traduisent une absence de résultats significatifs dans ces domaines, ce qui aurait rendu tout argumentaire difficilement crédible.

L’emploi et le chômage restent des préoccupations majeures pour les Togolais, notamment pour une jeunesse confrontée à un marché du travail en crise. La justice et la lutte contre la corruption sont des piliers fondamentaux de la gouvernance, mais leur état actuel au Togo est loin d’inspirer confiance. Ne pas aborder ces questions reflète un manque de volonté politique ou, pire encore, un aveu d’impuissance à les résoudre.

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