Sur le trône du Cameroun depuis le 6 novembre 1982, Paul Biya et son régime n’ont plus d’équivalent en termes de stabilité sur le continent qu’en Guinée équatoriale et au Gabon. Quelles sont alors les secrets de ce grand commis de l’Etat qui, au gré, des trahisons, tentatives de renversements et ruses de ses plus proches collaborateurs a su se maintenir au pouvoir ?

 

Secret 1 : tout écart sanctionné dans l’antre de Biya

Combien sont-ils au Cameroun à avoir le soir levé les yeux vers le palais présidentiel, tentant de percer, à travers le crépuscule, les secrets de la longévité au pouvoir du président Biya ? Diplomates et ministres, chef d’entreprise et intrigants, simples passants, enfants ou ménagères… Tous ont, un jour ou l’autre, rêvé de résoudre l’énigme du Sphinx d’Etoudi et de trouver la réponse à la sempiternelle question : comment partira enfin Biya ?

Un homme, seul au sommet, détient les clés des scénarios de sa gouvernance, c’est le président lui-même. Durant quatre décennies, Paul Biya, dans le rôle du machiavélique metteur en scène, a changé, mis hors de course ou supprimer plusieurs acteurs. L’ambitieux Marafa Hamidou Yaya, ancien secrétaire général de la présidence et proche collaborateur de Biya croupit depuis presque dix ans derrière les grilles de Kondengui pour « complicité intellectuelle de détournement d’argent public ». Titus Edzoa, trop pressé, a payé de deux décennies d’emprisonnement le fait d’avoir voulu passer du secrétariat général de la présidence à la magistrature suprême. Des ministres un temps qualifiés de tout-puissants ont vu leurs rêves de grandeur réduits à néant dans l’impitoyable jeu du pouvoir de Yaoundé.

 

Secret 2 : la redoutable machine du pouvoir, le RPDC

Paul Biya préside sans discontinuer le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RPCD) depuis sa création. Au sein du RPDC, le sujet de sa succession est encore tabou, d’après des sources du parti. Ainsi, l’Etat et le parti ne font qu’un, « une entité basée sur une mécanique d’interdépendance qui ne se lézarde pas », commente dw.com. De plus, le RDPC parti de Biya, a réussi en redoutable machine politique à quadriller la quasi-totalité du territoire, à s’implanter là où les gens – et donc les électeurs – vivent.

Grâce à cette machine, au Cameroun, des décennies de confrontation avec le pouvoir ont ainsi eu raison de la plupart des vétérans de l’opposition qui ont fini par se rallier. John Fru Ndi, le plus virulent détracteur du régime dans les années 1990, s’est embourgeoisé, goûtant le quotidien d’un gentleman-farmer dans son ranch de 200 ha à Wum, dans le Nord-Ouest, alors que l’influence de son parti Social Democratic Front (SDF) s’est étiolée d’année en année. Maïgari Bello Bouba de l’UNDP aurait, selon plusieurs sources locales, obtenu un contrat à durée indéterminée de ministre bon à tout faire. Adamou Ndam Njoya, dont la formation ouvertement régionaliste (l’UDC) ne fait plus illusion, mène une carrière tranquille de faire-valoir du pouvoir. Et à l’ombre des dinosaures, l’opposition parlementaire n’existe qu’à travers les joutes verbales provoquées par Jean Michel Nintcheu ou Joshua Osih, deux députés du SDF au verbe haut, mais sans réels impacts.

Secret 3 : Une opposition morcelée, fragmentée, déchiquetée

Face à la machine politique de Paul Biya, l’opposition camerounaise n’est jamais parvenue à créer de réseau comparable devant l’appareil sécuritaire déployé contre eux. L’irruption de l’ancien ministre Maurice Kamto sur le devant de la scène, en 2018, avait suscité de nombreux espoirs parmi les adversaires du chef de Biya. Mais difficile toujours, de peser face au RPDC. Les espoirs ont été rapidement douchés.

Pour Delmas Tsafack, chercheur et ancien analyste politique de l’ambassade de Belgique au Cameroun, il y a trois autres grandes raisons aux échecs des anti-Biya : tout d’abord le “système électoral verrouillé”: “Ce système électoral ne permet pas d’assurer la transparence au moment des élections, malgré la mise sur pied d’un organe indépendant qui n’en est pas un. Les élections sont entachées de fraudes difficiles à démontrer juridiquement lors des procès électoraux. Les voix des électeurs sont régulièrement achetées ou remplacées par des voix pour le parti au pouvoir.” 

 

Secret 4 : La stratégie du silence présidentiel

La parole est d’argent, mais le silence est d’or. Comme Faure Gnassingbé du Togo, le président camerounais Paul Biya a compris l’adage et l’utilise à merveille. « Discret et taciturne » comme le définit un camarade, cité dans la biographie écrite par Michel Roger Emvana, l’octogénaire président camerounais qui a célébré ses 39 ans au pouvoir est réputé très silencieux tel un lion endormi, mais vigilant, du parc de Waza Il tient les médias, notamment nationaux, à grande distance et n’accorde que très exceptionnellement des interviews. Retranché dans son Mvomékaa natal, avant tout remaniement ministériel ou décisions difficiles, le chef de l’Etat frappe dès qu’il sort de sa retraite. 

Ce temps de réflexion lui permet aussi de réaliser des choix plus adéquats à l’issue d’un processus lent, délibératif et réactif, marqué du sceau d’une extrême prudence et d’une méfiance de tous les instants. Ainsi, pour le Number One, parce que la parole publique aussi peut être déstabilisatrice, communiquer est synonyme d’en dire le moins possible, voire de garder le silence. 

Cette stratégie du moindre mot permet au ”président inoxydable” de prendre de la hauteur pour inscrire son action dans un temps long en assumant à la fois la singularité du costume présidentiel et en se positionnant comme le gardien d’une vision claire. Le silence est aussi pour lui un meilleur moyen pour prendre du recul et éviter toute réaction sous le coup des émotions. « C’est une de ses caractéristiques : il ne cède pas à la pression », confie un habitué de la présidence.

Au XVIIIe siècle, dans l’ouvrage l’art de se taire, l’abbé Dinouart écrit à propos du silence politique que c’est le signe “d’un homme prudent, qui se ménage, se conduit avec circonspection, qui ne s’ouvre point toujours, qui ne dit pas tout ce qu’il pense, qui n’explique pas toujours sa conduite et ses desseins ; qui sans trahir les droits de la vérité, ne répond pas toujours clairement, pour ne point se laisser découvrir” et pour toujours rester “maître des horloges”.

Secret 5 : la loyauté indéfectible de l’armée et les conseillers de haut vol

L’une des forces du régime Biya, c’est aussi la loyauté indéfectible de son armée, selon Michel Luntumbue, chercheur au GRIP, à Bruxelles. Cet homme énigmatique et imprévisible est obsédé par la stabilité de son pays au point de défier l’usure du temps. Hormis une tentative de coup d’Etat en avril 1984, il a, à cet effet, réussi à s’acheter la fidélité des soldats de l’armée nationale, jusqu’aux officiers, comme le souligne le Michel Luntumbe, “en leur proposant un plan de carrière” inédit dans la sous-région et en garantissant dans leurs rangs le renouvellement des générations.

Par ailleurs, pour mieux avancer ses pions dans l’échiquier politique camerounais et prendre les bonnes décisions, Paul Biya a su s’attacher le service de compétents conseillers. On recense parmi eux, Laurent Esso, Martin Belinga Eboutou et Luc Sindjoun, une des têtes pensantes de la reforme constitutionnelle que Biya pourrait lancer prochainement.

Secret 6 : une personnalité, des dogmes et des principes de gouvernances

Selon jeune Afrique, dans l’esprit Biya”la réforme est un risque, la révolution une catastrophe et le conservatisme l’unique moyen de maintenir ensemble les pièces du puzzle. ”. ”avoir maintenu son pays à l’écart des tourments qu’ont connus le Tchad, le Nigeria, la RDC ou la Côte d’Ivoire est… Avec l’instauration du multipartisme et de la liberté de la presse, le principal motif de fierté du président camerounais.”

Ainsi, dans son cheminement politique depuis le 6 novembre 1982, Paul Biya en homme intelligent, stratège; et mu par l’angoisse de devoir un jour quitter le pouvoir, et convaincu que la classe politique camerounais n’est pas suffisamment mûre pour assumer le changement; a su trouver les moyens d’avancer en s’assurant d’observer sans être observé. 

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