Après avoir passé 18 jours à la prison civile de Lomé, les journalistes Loïc Lawson, directeur du journal Flambeau des Démocrates, et Anani Sossou, journaliste indépendant, ont fini par bénéficier d’une liberté provisoire. Ils étaient poursuivis par le Ministre de l’urbanisme, Sévon Adedze, pour diffamation et incitation à la révolte dans l’affaire dite des 400 millions. Juste après leur libération, les deux journalistes ont tenu à réfuter leur première publication qui, selon eux et leurs « investigations et preuves », révélait le montant exact volé au domicile du Ministre Sévon Adedze.

« Je voudrais par ce truchement présenter mes sincères excuses au Ministre d’Etat Monsieur Kodjo Sévon Tépé ADEDZE par rapport au cambriolage dans son domicile à Kovié.  Le montant des 400 millions était surestimé et n’a jamais été volé chez lui. Je démens donc formellement toutes mes publications antérieures », va poster le journaliste Anani Sossou sur sa page Facebook au lendemain de sa libération.

Pourtant, tout comme Loïc Lawson, le journaliste Anani Sossou était catégorique au début de l’affaire, affirmant que 400 millions avaient été dérobés dans la maison du Ministre. Les deux journalistes avaient assuré disposer de preuves. Cette volte-face importante soulève des interrogations quant à ses motifs.

Cependant, au sein de notre rédaction, ce qui intrigue davantage c’est le mystère entourant le montant réel volé dans la maison du Ministre. Ce qui est certain, y compris pour le Ministre Sévon ADEDZE, c’est qu’il y a bien eu un cambriolage dans sa demeure à Kovié. Ainsi, si la véracité du montant constitue la difficulté, pourquoi le Ministre n’a-t-il pas fourni de preuves quant au montant exact qui lui a été dérobé ?

Manifestement, en poursuivant les journalistes pour diffamation, le Ministre semblait craindre, tout comme la majorité des Togolais, que la découverte d’une somme importante dans la maison d’un Ministre puisse perturber l’opinion publique. Il pourrait être par exemple contraint de justifier l’origine de cette somme devant la justice. L’hypothèse, relativement courante dans les pays africains et au Togo, suggère que ces fonds pourraient être issus de détournements des deniers publics . Au vu des fonctions exercées par le Ministre Sévon ADEDZE au sein du gouvernement et des services publics togolais, successivement en tant qu’Inspecteur puis Directeur Général des douanes, responsable de l’Office Togolaise des Recettes (OTR), puis Ministre du commerce, des postes où, pour certains, l’argent circule abondamment, le Ministre pourrait avoir du mal à convaincre l’opinion que 400 millions stockés dans sa résidence sont le fruit de ses économies. Sa crédibilité auprès des institutions de la République pourrait être sérieusement compromise.

Mais dans toute république, si des hommes de média accusent un Ministre à tort, il serait logique que ce dernier prenne la parole et exposer publiquement qu’il est victime de calomnie. Il devrait présenter des preuves convaincantes pour laver son nom de toute accusation infondée. Dans pareil cas, il aurait incombé au Ministre Sévon ADEDZE d’organiser une conférence de presse pour exposer sa version des faits, malgré la reconnaissance du cambriolage chez lui. Cependant, le Ministre a préféré crier à la diffamation sans pour autant dévoiler publiquement la somme volée.

Certes, le montant du vol pourrait être exagéré, mais cela ne dissipe pas les questions en suspens et n’éclaircit pas nécessairement l’image du Ministre. Même s’il a réussi à obtenir un démenti de la part des journalistes, qu’en est-il de sa crédibilité ? Y a-t-il eu vol dans sa résidence ? Quel est le montant dérobé ? Quelle en est l’origine ? S’agit-il de fonds détournés ou de ses économies ?

Outre la controverse sur le montant volé, le Ministre Sévon ADEDZE n’a visiblement pas gagné la bataille concernant le contraste entre sa personnalité d’évangéliste et homme de foi. C’est la seconde fois en l’espace de deux ans que le Ministre et évangéliste Sévon Tépé ADEDZE fait incarcérer des journalistes togolais.

En 2021, les journalistes Ferdinand Ayité et Joël Egah ont été emprisonnés et finalement condamnés à trois ans de prison ferme pour diffamation, après avoir été temporairement libérés. le plaignant, c’est le même Ministre et évangéliste Sévon ADEDZE.

Bien que Ferdinand ait réussi à quitter le pays, Joël Egah est décédé dans des circonstances non élucidées peu de temps après. Il convient de dissiper rapidement toute confusion : nous ne pouvons affirmer que le décès de Joël Egah soit lié à son emprisonnement. Toutefois, l’éthique et le bon sens jettent un regard accusateur sur le Ministre. Être évangéliste et être celui qui incarcère un journaliste ayant succombé peu de temps après, même en l’absence d’accusations directes, ne joue pas en sa faveur, ni pour son ministère d’évangéliste. Il est probable que cela trouble sa quiétude. Par ailleurs, le fait qu’un journaliste se retrouve en exil loin de sa famille et de son pays d’origine, avec son journal fermé et des journalistes au chômage, à cause de ses actions, ne suscitera pas de louanges dans l’opinion publique togolaise, y compris parmi les membres de la communauté chrétienne.

Quelques jours après le début de l’affaire des 400 millions et juste après l’incarcération des deux journalistes, une vidéo montrant le ministre en pleine prédication avait largement circulé sur les réseaux sociaux. Dans cette vidéo, le Ministre et évangéliste enseignait sur la nécessité et l’importance du pardon. Il professait que, “peu importe le degré de l’offense, le Seigneur demande de pardonner”. Au sein de l’opinion, il est difficile de comprendre comment un évangéliste prêchant ces principes évangéliques peut refuser de pardonner aux journalistes qui l’auraient diffamé au point de les faire emprisonner. De plus, il est tout aussi difficile de comprendre pourquoi il refuse de retirer sa plainte. Toutes ces actions semblent contredire l’évangile du Christ, dont il est le messager.

En tant que fondateur du groupe Salut et Joie, à l’initiative de l’événement annuel appelé Journée Nationale de Reconnaissance à Dieu (JNRD), le Ministre Sévon ADEDZE a clairement terni la sincérité de ses intentions visant à unir les Togolais autour d’un idéal d’entente, d’harmonie et de paix. Il est difficile d’expliquer comment, le 17 décembre prochain, date de déroulement de la JNRD, lorsqu’il lèvera les mains pour remercier Dieu pour la vie des Togolais, deux journalistes, en raison de ses actions, pourraient être soumis à des poursuites judiciaires et être condamnés à tout moment, jetés en prison pour une affaire de surestimation du montant volé dans sa propre résidence.

Où se trouve la sincérité dans sa démarche chrétienne, aussi noble soit-elle, et pourquoi les Togolais devraient-ils croire en sa vocation d’évangéliste ?

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